Se réaccorder en mer

Décalaj crée une nouvelle rubrique «  Coucou » dédiée
aux ambitieux qui souhaitent contribuer à un monde plus juste.

Coucou présente ici un baptême de croisière, à Guissan, qui permet de souffler. Deux heures en mer sur un voilier pour une balade personnalisée rien que pour soi. C’est l’offre originale et vivifiante que propose Jean-Claude avec son association Autre rive, à Gruissan, un bol d’air qui apporte plus que des oligoéléments. Retrouvez également l’histoire du commercial devenu moniteur de voile ici

Lever l’ancre, mettre les voiles, prendre le large, mouiller, tenir la barre… que de jolies expressions que celles du vocabulaire marin ! Les dire, les lire, les écrire suscitent immédiatement des images, des émotions, des sensations salées et de vent sur la peau. Et quel bonheur de les vivre…

Je suis réveillée un matin de vacances, ou plutôt un matin de résidence avec une forte envie de Méditerranée. J’avais quitté ma famille chronophage et énergivore la semaine précédente car j’avais besoin de prendre le large, de souffler un peu et surtout j’avais envie de temps pour m’occuper de mon manuscrit. Je suis sensée l’envoyer à un éditeur bientôt et il reste des ajustements à faire auparavant. J’ai choisi Narbonne-Plage pour m’échouer, chez une tante que j’adore. Chez elle, je suis toujours bien accueillie. Attendue. Et je l’avoue, venir chez elle est très confortable. J’aime aussi cet endroit pour des questions de facilités. Et en ce moment, je n’ai envie que de ça, de facilités. Que de choses simples.

Je me suis réveillée ce matin-là, j’ai ouvert les yeux, la fenêtre, mon ordinateur, Internet, j’ai tapé « croisière à Gruissan » dans la barre du moteur de recherche, la photo du voilier a arrêté mon choix. M’interdisant de réfléchir, j’ai saisi ma requête dans le formulaire de contact : « Bonjour, je suis intéressée pour un baptême de croisière, je souhaiterais connaître les tarifs, svp. Bien cordialement, D. » J’ai laissé mes coordonnées, puis cliqué sur « envoyer ». Puis, je suis sortie et je n’y ai plus pensé. Deux heures plus tard, Jean-Claude m’a proposé une sortie en mer.

Le jeudi qui a suivi, la météo était propice. Nous sommes fin juillet et Jean-Claude m’a invitée à le rejoindre en début d’après-midi. En posant le pied sur son voilier de dix mètres de long, j’étais intimidée. Bizarrement intimidée. D’abord, j’étais là, sur le ponton d’un bateau alors que, franchement, ce n’est pas mon style. Ce genre de bateaux, cela me file des angoisses, car je me dis qu’ils ressemblent à des coquilles de noix perdues sur l’immensité de l’eau…

Ensuite, je ne connais pas ce monsieur, ça non plus ce n’est pas mon style, habituellement, ma prudence passe pour de la méfiance tellement je me renseigne sur les gens que je vais rencontrer. Et enfin, ça y était ! je l’avais fait ! je n’avais rien demandé à personne, ni sollicité l’avis de quiconque ! Je n’avais pas pesé le pour et le contre pendant cent cinquante ans, je n’avais ni hésité, ni tergiversé, ni changé d’avis plein de fois ; j’avais eu envie d’aller en mer, décidé de trouver le moyen de le faire et agit pour réaliser ce rêve très ancien. Et tout ça en me faisant juste confiance et en suivant mon intuition.  En suivant mon instinct. J’étais donc là, intimidée et heureuse.

Rien qu’en posant le pied nu sur le bateau, j’ai ressenti immédiatement de la plénitude. Comme si, rien qu’en acceptant la main tendue de Jean-Claude pour m’aider à me hisser à bord, je recevais des ondes positives, de calme et de sérénité. C’était une émotion forte, ressentie grâce à une chose un peu folle que j’avais décidé de m’offrir… et je m’en sentais presque gênée. Pour donner le change, j’ai dit à Jean-Claude que j’étais un peu trouillarde tout en me demandant pourquoi il fallait toujours que je me rabaisse ou me cache derrière de l’humour et l’autodérision. Comme si c’était interdit d’avoir du plaisir à s’accorder un cadeau, comme si je devais temporiser cette joie intérieure que cela procure, comme si je n’en étais pas digne. Cet éclair de lucidité m’a presque fait peur, c’était la première fois que je réalisais que oui, j’avais du mal à accorder de la valeur à mes envies. Jean-Claude me tenait toujours la main et il cherchait mon regard à travers nos lunettes de soleil :

– Je sais oui.

– Comment ça tu le sais ? »

Jean-Claude m’avait tout de suite tutoyée : « Sur le bateau, on se dit « tu », ça te va ? » J’avais trouvé ça très bien. Dans mon métier aussi, le « tu » fait aussi partie des codes. J’avais été ravie de ce point commun. Cela aussi est un autre travers, j’ai toujours besoin de trouver des points communs avec les autres. Pour me rassurer ? Il écourte ma réflexion cette fois-ci en précisant :

« Je l’ai senti au téléphone.

– Ah bon ? comment ça ?

–  Je ne sais pas, je l’ai senti. Ton stress aussi. Tu sais, habituellement, je ne sors pas en mer avec moins de trois passagers, sinon je ne gagne pas ma vie ! Mais, là, je ne sais pas, je t’ai trouvée sympathique au téléphone… »

Je ne l’écoute plus, je ne l’entends plus, je suis très gênée. Il m’a fait un cadeau. Tout s’explique. J’avais trouvé cela étrange, ce tarif si accessible. Moi aussi, je suis indépendante et je connais la valeur du travail. Je suis un peu désarçonnée que l’on puisse « lire » comme ça à travers moi… Je sais que je suis un livre ouvert mais quand même ! au téléphone aussi ? Déjà tout à l’heure, en prenant le bus pour venir jusqu’au port de Gruissan, le chauffeur m’a « rassurée » d’un « madame, je suis en avance, vous avez le temps… » parce que je m’impatientais en cherchant ma monnaie pour régler le ticket. Il semblerait que tout le monde peut constater que je suis énervée, à bout, fatiguée.

Jean-Claude m’a proposé de me montrer et de me laisser expérimenter les gestes du marin, j’ai refusé tout net en riant « non merci, je ne suis venue que pour me détendre… » Il a souri un « pas de problème ». Et j’ai juste tenu la barre le temps qu’il s’affaire à désarrimer le bateau.

Jean-Claude nous a emmenés au large, pas très loin, juste assez pour apprécier la côte depuis la mer. Nous avons parlé de tout et de rien sur le ton de la conversation. Jean-Claude est surprenant. D’un calme olympien, il me parle de sa vision de la vie. Je comprends qu’il vit plus ou moins au jour le jour, qu’il n’est pas inquiet de ce que demain va lui offrir. Il n’est pas inconscient, loin de là, c’est un père et un professionnel responsable. Autre rive est son école de voile. « J’ai monté une formation d’une trentaine d’heures. En dix matinées, tout le monde peut avoir les connaissances nécessaires pour naviguer avec un voilier. » Il m’explique sa motivation à former les gens : « La voile est un moyen puissant de se reconnecter avec l’essentiel. Un short, un t-shirt, la mer et c’est à peu près tout ce dont on a besoin. » Je comprends ce qu’il veut dire. J’ai expérimenté dans d’autres circonstances cette forme de dénuement et je sais qu’il a raison, au fond, nous avons besoin de peu pour subvenir à nos besoins.

Mes yeux se perdent dans l’horizon. J’observe les bleus. Celui du ciel, ceux de la mer. Selon la profondeur, les remous, l’ombre et la lumière, il y a de multiples bleus. Du bleu canard au bleu roi, en passant par le bleu azur, c’est d’une grande richesse. Jean-Claude a continué de parler, puis s’est tu. J’ai décroché mais j’ai tout entendu. La mer permet de se reconnecter à soi. Je le sais depuis longtemps car aller au bord de la mer m’a toujours aidée à sortir de la mélancolie ou à prendre de grandes décisions. Mais sur l’eau, le plus, c’est la mesure du temps qui disparaît. La navigation permet de se concentrer sur l’instant présent, et ce, sans pour autant fuir ses responsabilités, au contraire car naviguer implique d’anticiper. Toujours anticiper. Jean-Claude m’explique que la navigation est une très bonne école de vie. Je le crois sur paroles.

Le capitaine du bateau est un hôte charmant, discret et attentif. Il parle avec mesure, respecte les silences, pose très peu de questions personnelles et oriente les échanges sur des questions existentielles. Au fil de notre conversation, j’apprends encore qu’il est moniteur depuis vingt ans. J’en conclus qu’il a changé de vie en cours de route. D’ailleurs, il me le confirme : « Je m’intéresse au développement personnel depuis mes 25 ans, j’ai été commercial à Nîmes, et un jour, j’ai vraiment eu envie de changer de vie. J’ai consulté une coach. » Je suis circonspecte. Moi, les coaches, je les fuis. À mes yeux, ce sont des opportunistes qui profitent du malaise temporaire de personnes désorientées. Et ce, alors même que de nombreuses personnes me disent que je serais une très bonne coach ! Jean-Claude poursuit « grâce à cette expérience, qui n’est autre qu’un rendez-vous avec soi-même une fois par mois, j’ai pris conscience que je procrastinais, que j’avais de grands rêves mais que je ne faisais pas grand-chose de concret pour les réaliser… » Il rit franchement à ce souvenir. « Prendre la mer est magique pour moi. Aujourd’hui, je suis moniteur mais j’ai très envie de développer une activité de coaching en mer. »

Je regarde à nouveau Jean-Claude et je me dis que je n’ai pas vu ses yeux encore, ni lui les miens. Mon regard se retourne vers la côte et je demande : « C’est quoi ce village là-bas ? » Le plaisancier rit, un rien moqueur :

– C’est Gruissan.

– Comment ça Gruissan ? mais on en vient !

–  Tu vois la destination importe peu, ce qui compte c’est le temps passé sur l’eau. »

Je comprends que le retour est amorcé. Je ne me suis pas rendu compte que l’après-midi avait filé. Jean-Claude continue sa réflexion : « Il y a tellement de personnes qui mènent une vie qu’ils n’ont finalement pas choisie. Pourtant, ils savent au fond d’eux que quelque chose de va pas. » Je partage son avis, aujourd’hui, dans nos sociétés, l’intuition n’est plus une boussole reconnue. Au contraire, parfois, nous muselons notre voix intérieure. « Le coaching en mer permet de prendre du temps pour soi, de se dépouiller de tout ce qui pollue la vie. La mer aide à vivre au rythme de son corps. Elle permet de se reconnecter à qui l’on est vraiment, de retrouver son bon sens et aide à réapprendre à se faire confiance. »

Je suis très intéressée par ce qu’il raconte. Car tout à coup, je me refais le film de tout ce que j’ai ressenti depuis que je l’ai contacté ; et il ne s’agit que de ça : une prise de conscience suivi d’une reprise de confiance. 1. Je prends contact sans enquêter. 2. Je prends le bus et comprends que je suis stressée. 3. Je monte sur le ponton et je ressens une plénitude immédiate. 4. Je blague et je suis démasquée. 5. Je décline sans détour de participer et assume mon besoin de détente. 6. Je me perds dans la contemplation des éléments et en oublie le temps. 7. Je regarde l’autre et je comprends que Jean-Claude est coach dans l’âme.

Nous sommes rentrés au port. J’ai tenu la barre. Sauf pour l’arrimage. J’ai proposé d’aller prendre un verre mais le temps lui manquait. Je suis partie sur une promesse d’article et de se revoir très vite pour une autre expérience.

En descendant, je me suis offert une glace sans culpabilité et je me suis régalée. J’ai acheté une robe en lin jaune et bleu que je trouvais magnifique en faisant taire mes doutes sur la pertinence de ce choix pour ma silhouette. Je me suis posée pour attendre le bus et j’ai lu, sans me dire qu’il était dommage d’être là et de ne pas en « profiter » pour faire des trucs que je ne peux faire qu’ici. En arrivant à Narbonne-Plage, je me suis baignée, longtemps. Puis je suis rentrée, j’ai dévoré ma salade du soir avant l’heure du dîner, et j’ai fait une sieste avant de profiter d’une soirée tranquille. J’ai dormi ni mieux ni moins bien que d’habitude mais je me suis réveillée avec le dos moins douloureux que d’ordinaire. Aurais-je laissé en Méditerranée quelques soucis ?

 

Autre Rive dans le magazine Vague(s)

 

 

 

 

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