Pierre Huyghe met le Centre Pompidou à l’épreuve du temps

Dominique Julien

De l’espace. Des espaces. Des chaussures dorées, un tas de pigments magenta, une toile sombre qui semble s’éclairer à mesure qu’on l’observe… Pierre Huyghe a investi le Centre Pompidou.

La première salle semble inachevée,  encore en travaux, des araignées suggèrent l’endroit à l’abandon. Ou en gestation peut-être ? Comme un écho à Mère Anatolica de Parvine Curie (1975), la sculpture que Pierre Huyghe a installée dès l’entrée de l’exposition. Cette œuvre, qui trônait sur la pelouse du collège de Chevreuse où l’artiste a grandi, a-t-elle marqué l’enfance de l’artiste, puis nourri son œuvre ?

Pierre Huyghe interpelle et dérange. Il installe un dispositif à neige, présente un essaim d’abeilles sur la tête d’une femme sculptée, montrant le temps dans ses dimensions météorologique et de durée, présidant à la transformation ultime de toutes choses.

Le spectateur est dérouté par un texte imprimé, punaisé au mur, un document comme d’aucun en a chez soi, plus loin, un homme coiffé d’un essaim se promène dans la salle…

Un chien aux pattes roses

Mais une surprise plus saisissante encore attend le spectateur. Sur une vidéo : de gros plans sur une  dépouille animale sabordée par des mouches et des vers s’enchaînent. Ensuite, des abeilles en très gros plan, puis un chien famélique. Un chien blanc à la patte rose qui dévore une carcasse… D’un coup, sursaut ! A peine le chien du film a-t-il disparu à l’écran qu’il apparaît en chair et en os, en blanc et en rose, là entre l’écran et les spectateurs ! A cet instant précis, le temps et l’espace basculent : tout est reconsidéré. Entre amusement et inquiétude, les questions se posent : « Qu’est-ce qui relève du hasard ? Qu’est-ce qui est mis en scène ? Ces gens… Sont-ils vraiment de simples visiteurs ou des acteurs simulant de banales croisées d’individus ? » Le malaise prend, comme si chacun était observé, accentué par les quelques sons froids et répétitifs qui évoquent ceux d’un jeu télévisé. L’artiste veut-il montrer comment fonctionne une lobotomisation télévisuelle ? Mais le son de la vidéo reprend le dessus : ça craque, ça susurre, ça suinte, ça nous bouffe de l’intérieur ! Et ce chien qui passe et repasse….

Pendant ce temps-là, à la porte de l’expo, un jeune homme demande leur nom aux personnes qui arrivent, puis l’annonce à voix forte depuis le seuil. Entré dans le musée, chaque visiteur devient une pièce unique et temporaire de l’œuvre de Huyghe. Chacun devient l’objet de son espace pour un temps donné. En échange, l’artiste donne sa vision du monde : une nature dévorante, des hommes devenus objets et des espace-temps en suspension… Une vision du monde éprouvante.

décalaj

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